Est du Burkina: L’avenir des enfants déscolarisés, sept ans, après

Sept ans, c’est environ le nombre d’année que plusieurs milliers d’enfants et de jeunes ont arrêté de fréquenter les classes. La région de l’Est est le centre névralgique de ce phénomène qui débute depuis 2016 avec les incursions terroristes. Désormais, la non-scolarisation des jeunes en âge d’être à l’école pourrait atteindre des sommets cette année, avec plus de 70% dans la région de l’Est. Gulmu.info a enquêté.

Fada, 10 Octobre 2022. Il y a de cela plusieurs jours que la rentrée scolaire bat son plein. Mais, tous les enfants en âge de se scolariser n’iront pas à l’école, cette année, comme les années dernières. Il s’agit de ces milliers d’enfants et de jeunes qui sont obligés d’attendre encore le retour de la paix. Le constat est triste. Autant d’écoles fermées, autant d’élèves qui ont fui. Selon les données à notre possession, seuls 23% des écoles de la région de l’Est prévoient d’ouvrir leurs portes cette année. Il s’agit des informations recueillies auprès de la direction régionale en charge de l’éducation nationale.

A titre de comparaison, seules les écoles situées dans la circonscriptions des villes chefs-lieux de provinces prévoient ouvrir les portes.  “On voit monter une logique de fermeture des salles de classe depuis l’avènement du terrorisme. Certains enseignants se disent que ça ne sert à rien de risquer sa vie pour rester dans les classes. Ils n’ont aucune assurance d’être protégés et d’être payés surtout que les institutions bancaires sont fermées dans presque toute la région. Alors ils désertent les classes, parfois-même sans informer la hierarchie”, souligne un inspecteur de l’enseignement de premier degré, qui a souhaité garder l’anonymat.

Plusieurs enfants et jeunes expliquent qu’ils n’iront plus à l’école car “l’école n’existe seulement qu’en ville” et “ils ne connaissent personne en ville pour s’y rendre et continuer l’école”. Et 40% des répondants déclarent que la vie en ville est « très difficile surtout quand on ne peut plus joindre les parents pour demander de l’aide une fois à l’école. » L’année scolaire 2021-2022, plus de 5 000 élèves étaient des déplacés internes dans les villes de Fada, Gayerie, Diapaga et Bogandé.

Le Gouvernement ne parvient pas à nous convaincre d’y retourner, alors il y a un effet de démotivation. Les enseignants ont beaucoup de raisons pour fuir les villages. Quand les hommes armés viennent, ils sont les plus exposés dans les villages. Afin de ne pas subir les courroux des hommes armés, plusieurs préfèrent partir avant qu’ils n’arrivent ”, affirme Assami DADJOARI, nom d’emprunt, un enseignant ayant fui son école pour se refugier à Fada.

Ce problème d’abandon des salles de classe est très récurrent. Près de 7 enseignants sur 10 que nous avons interrogés disent n’avoir jamais été visités par les groupes terroristes. 5/10 affirment avoir quitté les classes après avoir eu des informations qui annoncent l’avancée des groupes terroristes vers les villages. 6/10 des enseignants ont rejoint leurs localités de naissance et les grandes villes plus sécurisées pour entreprendre en attendant que la situation aille mieux.

“Plusieurs enseignants ne souhaitent plus y retourner”

Ceux qui connaissent les enseignants qui ont rejoint les centres villes savent qu’ils s’y plaisent. Si la plupart d’entre eux se sont déjà convertis à d’autres métiers, d’autres profitent aisément de cette situation où l’Etat est obligé de payer des fonctionnaires pour chômer. 100% des enseignants interrogés déclarent qu’ils n’ont pas encore eu un problème de salaire. Ils ont le sentiment que cette situation va de mal en pire. C’est paradoxal car les directeurs des écoles et lycées publics ont tous fuit et cela ne facilite pas le retour des enseignants dans les classes. « Quand le proviseur sera de retour au Lycée, j’y penserai aussi » nous a confié un professeur d’anglais vivant à Ouagadougou depuis plus de 2 ans.

La non-scolarisation des enfants et des jeunes de la région est tout simplement due à la situation sécuritaire dégradée, mais aussi à la fuite des enseignants et du corps professoral, mais surtout due à l’incapacité de l’Etat de faire revenir les enseignants dans les classes.

Les leviers à activer pour booster le retour à l’école

Certaines questions pourraient cependant intéresser les enseignants en cette année scolaire. L’implication du ministère de l’éducation dans la recherche des solutions pour la réouverture des classes. Si dans certaines localités de la région, plusieurs enseignants ont déserté les salles de classes à la première occasion, notre enquête a fait ressortir que plusieurs centaines d’autres sont restés pour terminer l’année scolaires 2021-2022. Toutefois, lors des examens de fin d’année, aucun des enseignants ayant risqué sa vie pour terminer l’année n’a été félicité ni encouragé. Pire, certains n’ont même pas été retenus pour les corrections lors des examens, pendant que l’Etat avait héliporté les enseignants « fuyards » pour les ramener dans les mêmes localités lors des examens.

Des sujets dont les responsables en charge de ce département ne se sont visiblement pas assez saisis. Toujours selon cette enquête, près de 8 enseignants sur 10 seraient susceptibles de retourner dans les localités d’affectation si certains garantis de sécurité et de reconnaissance leurs étaient promis.

Toutefois, à défaut de faire revenir les enseignants dans les classes, chaque président des délégation spéciales de chaque commune devrait trouver des solutions palliatives (recruter des bénévoles par exemple) pour que les milliers d’enfants et de jeunes en âge d’aller à l’école ne chôment pas.  Comprendre que c’est l’avenir de la nation, et que par tous les moyens il faut que les enfants retournent à l’école (puisque les écoles privées sont ouvertes et fonctionnent sans problème) les inciterait aussi à revenir sur leurs décisions.

Van Marcel OUOBA, Gulmu.info

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