« Moi, je suis en guerre tous les jours. Mais je refuse de perdre.” Aïssata, déplacée interne et étudiante
Dans un coin exigu d’une cour en banco, à l’arrière d’une concession prêtée par un inconnu, une femme lave du linge avec rage. Le savon est trop peu, l’eau trop rare, mais elle frotte comme si sa vie en dépendait. En réalité, c’est peut-être le cas. Aïssata, 24 ans, déplacée interne venue de Pama, vit aujourd’hui à Fada N’Gourma. Abandonnée par son mari, réfugiée chez une sœur, elle aussi, déracinée, mère d’une petite fille de cinq ans qu’elle élève seule, elle affronte la vie avec une seule arme : sa dignité.
Une guerre, un exil, une mère seule
Lorsque la violence atteint leur village, Aïssata n’a que le temps de prendre son bébé dans ses bras. Rien d’autre. Son mari l’accompagne dans un premier temps, mais la précarité et le désespoir ont vite raison du couple. Il l’abandonne sans mots d’adieu. Seule avec sa fille dans une ville étrangère, elle encaisse le choc, puis relève la tête.
« Je n’ai pas pleuré longtemps. Elle me regardait, ma fille. Elle ne comprenait pas, mais elle avait peur. Je n’avais pas le droit de flancher. »
À la faim s’ajoute la peur de ne pas pouvoir nourrir, soigner, habiller son enfant. Chaque fièvre est une panique. Chaque repas est une victoire. Et chaque nuit, un affront au désespoir.
Survivre sans tomber
Chez sa sœur aînée, la cohabitation est pesante. Cette dernière, prise dans la spirale de la « vie facile », tente de convaincre Aïssata de faire comme elle : « un peu de maquillage, quelques sorties avec des hommes, et les soucis s’allègent ». Mais Aïssata résiste. Sa réponse est sans appel.
« Je préfère souffrir et dormir en paix. Je veux que ma fille puisse me regarder sans honte. »
Alors elle travaille. Des ménages, des lessives, parfois même des travaux de construction légers. Elle accepte tout ce qui lui permet de tenir. Malgré la fatigue, les douleurs dorsales, les humiliations parfois. Elle serre les dents.
L’université comme dernier fil d’espoir
Contre toute attente, Aïssata s’est inscrite à l’université de Tenkodogo. Titulaire d’un BAC D obtenu à Pama, elle reprend les cours, entre deux semaines de corvées domestiques. Elle valide sa première session. Mais le prix est immense : déplacements coûteux, nuits à même le sol chez des amis, longues heures sans manger.
Et les questions se bousculent : comment continuer à payer les frais ? Qui gardera sa fille ? Que se passera-t-il si un jour elle tombe malade, ou si un bailleur décide de ne plus la payer ?
Témoignage “Je suis en guerre tous les jours”
“Je ne dors pas la nuit. Je pense à demain. À ce que je vais donner à manger à ma fille. À comment payer le bus pour aller à Tenkodogo. Quand elle tombe malade, je tremble. Un jour, je suis allée à la pharmacie avec 500 francs. J’ai pleuré devant le pharmacien. Il m’a donné un sirop pour bébé. Il a dit : ‘Que Dieu vous aide.’ C’est ce genre de gestes qui me sauvent. Moi, je suis en guerre tous les jours. Mais je refuse de perdre.”
Aïssata, déplacée interne et étudiante
Entre ombre et lumière
Aïssata n’est pas un symbole. Elle est bien réelle. Sa fatigue, ses larmes, sa force, son entêtement à rêver dans un monde qui ne lui offre aucune promesse. Elle incarne cette jeunesse déplacée, invisible, oubliée des politiques publiques, mais plus que jamais debout.
« Je veux qu’un jour, ma fille dise : “Ma mère a tout enduré, mais elle a tenu.” C’est ma seule richesse. Ma seule victoire. »
Dans les failles d’un pays meurtri, il y a parfois des lueurs. Aïssata en est une. Et son combat mérite d’être vu. Entendu. Soutenu.
Van Marcel OUOBA, Gulmu Info