Liberté d’association : le Burkina serre la vis
Par Van Marcel OUOBA, Gulmu Info
L’Assemblée législative de Transition n’a pas traîné. En séance plénière, les députés ont adopté à l’unanimité une loi qui redessine en profondeur la liberté d’association au Burkina Faso. Un vote historique, à l’image d’un texte qui, derrière ses airs de modernisation administrative, verrouille un peu plus un secteur longtemps laissé en friche : celui des organisations de la société civile.
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Le ministre d’État Émile Zerbo, artisan du texte, parle d’un « outil de rationalisation et de refondation ». Sur le papier, la loi, structurée en 7 chapitres, veut à la fois moraliser, professionnaliser et sécuriser l’espace associatif. Une mission salutaire, sauf que les verrous sont nombreux :
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interdiction faite aux responsables politiques (ministres, élus, chefs de circonscription…) de diriger une association ;
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clarification stricte entre structures d’intérêt général, politiques et commerciales ;
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règles d’incompatibilité renforcées pour les dirigeants associatifs ;
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obligation d’alignement sur les normes LBC/FT (lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme).
Et comme souvent, le contrôle vient avec la surveillance : un dispositif intégré de suivi est prévu, accompagné d’un cadre de concertation « inclusif ». En clair : les associations resteront libres, mais à condition d’être bien sages.
Rentabiliser la société civile ?
Mais la surprise vient surtout du volet économique. La loi n’est pas qu’une mesure de contrôle, elle est aussi censée rapporter. Selon le ministre Zerbo, ce nouveau cadre devrait injecter 2 milliards de F CFA par an dans les caisses publiques. À peine 150 millions en coût de fonctionnement. Le ratio fait rêver les technocrates. L’État veut donc rentabiliser la liberté d’association — une première.
Unanimité sans fausse note
L’hémicycle n’a pas bronché. Quelques questions de forme, un soupçon d’inquiétude sur la mise en œuvre, et c’était plié. Le consensus était tel qu’on aurait cru à un vote sur la Coupe d’Afrique. L’ALT a donc entériné, sans résistance, un texte qui risque pourtant de bousculer de nombreuses pratiques, en particulier dans les zones de forte mobilisation citoyenne.
Une loi qui tombe à pic… ou qui tombe trop bien ?
Dans un Burkina Faso en transition perpétuelle, où les libertés sont souvent reconfigurées au gré des priorités sécuritaires, cette loi arrive avec un timing troublant. Elle fait suite à la dissolution de la CENI, à la suspension de partis, à la mise au pas de l’AJB (Association des Journalistes du Burkina), et à une succession de textes resserrant la vis autour des contre-pouvoirs civils.
Alors oui, sur le fond, il fallait sans doute réguler. Mais sur la forme, difficile d’ignorer que cette refonte tombe à un moment où l’État cherche à tout contrôler : parole publique, action politique, financement étranger… et désormais mobilisation citoyenne.
À Fada comme ailleurs, un nouveau deal
Dans l’Est du pays, où les associations sont souvent en première ligne pour l’éducation, la cohésion sociale ou la réponse humanitaire, cette loi est à double tranchant. D’un côté, elle peut protéger les OSC contre les dérives et les récupérations. De l’autre, elle pourrait étouffer les plus fragiles, éloigner les bailleurs, ou dissuader les citoyens de s’impliquer.
Le gouvernement parle de refondation. D’autres y verront une reprise en main. Reste à voir si ce nouveau cadre sera un levier de développement ou un instrument de normalisation.
Une chose est sûre : le Burkina vient de tourner une page. Aux acteurs associatifs de ne pas la laisser blanche.