Sur la grande cour de Gulmu Info, le bruit des marteaux et le frottement du métal remplacent le silence habituel des ateliers. Sous un ciel chaud et limpide, dix jeunes filles, visages concentrés, découpent, peignent, fixent. Devant elles, des pneus usés renaissent en poubelles colorées, prêtes à embellir les ruelles poussiéreuses de Fada N’Gourma. Elles s’appellent Sophie, Amira, Noelie ou Awa — mais ensemble, elles portent un même nom : les “Yénénga de l’Environnement”.
Quand l’écologie rencontre l’émancipation féminine
Le projet, initié par l’association Tambola, avec l’appui de AHRN Foundation (Africa Human Rights Network Foundation) n’est pas une simple activité de recyclage. C’est une révolution silencieuse, portée par des jeunes femmes qui refusent de subir la dégradation de leur cadre de vie. « La Yénénga de l’Environnement est née de notre conviction qu’une fille bien formée peut transformer sa communauté, explique Amiratou Ilboudo, la coordinatrice du projet. Nous voulons faire des jeunes filles des actrices de changement, pas des spectatrices de la saleté et du désespoir. »
Amiratou Ilboudo, la coordinatrice du projet
Le programme allie formation pratique, sensibilisation et leadership communautaire. La première étape : apprendre à transformer un pneu usagé – symbole de pollution urbaine – en objet utile, durable et esthétique. Mais au-delà du geste, l’enjeu est plus grand : donner aux filles les moyens de créer, d’entreprendre et d’agir dans une société où la question environnementale reste encore trop souvent masculine.
Du pneu au projet de vie
Encadrées par Tankono Abdou, président de l’association Nature et Vie, les participantes ont d’abord découvert les bases du recyclage écologique et la loi 045 sur la gestion de l’environnement. Puis, place à la pratique : découper, assembler, peindre, vernir. Sous leurs doigts, les pneus abandonnés se métamorphosent en poubelles solides, élégantes et résistantes à la pluie.
« Nous avons voulu montrer qu’un pneu usé peut avoir une seconde vie, confie le formateur. Ce geste simple protège la nature et crée de la valeur. Ces jeunes filles prouvent qu’on peut joindre l’écologie à l’économie locale. »
Tankono Abdou, président de l’association Nature et Vie, Formateur
À la fin de la formation, les dix participantes n’ont pas seulement appris une technique : elles ont découvert une voie vers l’autonomie économique. Certaines rêvent déjà d’en faire une activité génératrice de revenus, d’autres envisagent de sensibiliser leurs quartiers ou les camps de déplacés.
L’environnement, une urgence citoyenne à Fada
Dans la capitale de l’Est, où les déchets s’amoncellent aux abords des concessions, cette initiative apparaît comme une bouffée d’air frais. Les ruelles de Fada N’Gourma, souvent étouffées par la poussière et les plastiques, voient émerger une nouvelle conscience : celle d’une jeunesse qui veut reprendre possession de son cadre de vie.
« Nous voulons commencer petit, mais frapper fort, explique Sophie, l’une des participantes. Si chaque quartier avait des poubelles et si chaque habitant faisait un petit effort, Fada serait plus propre. »
Au programme des prochaines semaines : des actions de nettoyage collectif, la distribution de poubelles dans les zones d’accueil des PDI, et des séances de sensibilisation sur la salubrité. Une démarche participative, inclusive et porteuse d’espérance, dans une région longtemps fragilisée par la crise sécuritaire.
Une génération de Yénénga modernes
Le symbole n’est pas anodin : “Yénénga”, héroïne fondatrice du royaume mossi, incarne depuis des siècles la bravoure, la sagesse et la liberté. En baptisant leur projet de ce nom, les initiateurs font un pari audacieux : celui de réconcilier la tradition et la modernité, l’héritage et la créativité, le féminin et l’environnemental.
« Ces jeunes filles sont les Yénénga du XXIᵉ siècle, affirme fièrement Amiratou Ilboudo. Elles brandissent la balayette et le marteau comme d’autres brandissaient la lance. »
Les yennega de l’environnement posant avec une poubelle écologique
Une écologie du possible
Au-delà des symboles, l’expérience des “Yénénga de l’Environnement” rappelle une vérité simple : l’écologie n’est pas un luxe, mais une nécessité vitale, surtout dans les zones les plus fragiles du Burkina Faso. En redonnant vie aux pneus usés, elles recréent du sens et rappellent que le développement durable commence souvent dans les gestes les plus humbles.
Le projet, qui s’étendra jusqu’à fin novembre 2024, ambitionne de toucher plusieurs centaines de bénéficiaires, notamment dans les sites de personnes déplacées internes (PDI). Il s’inscrit dans une dynamique plus large : celle de l’entrepreneuriat vert, de la résilience communautaire et du leadership féminin.
Et après ?
Lorsque les dernières poubelles peintes sèchent au soleil, un sentiment de fierté flotte dans l’air. Les visages des participantes s’éclairent. Elles ont appris à créer, à transformer, à imaginer un autre futur.
« Ce n’est que le début », lance doucement Grâce, un pinceau encore à la main. Et dans son regard, il y a toute la promesse d’une génération prête à reconstruire le monde, un pneu à la fois.