Fuir la guerre, affronter la misère : les déplacés oubliés de Fada N’Gourma
Dans la région de l’Est, où le silence des campagnes est brisé par les échos lointains des fusillades, des milliers de familles s’accrochent à une survie précaire. Elles ont fui leurs villages, abandonné leurs terres et leurs morts, pour trouver refuge dans les villes encore tenues par l’État. Fada N’Gourma est devenue leur abri fragile. Mais pour beaucoup, la sécurité retrouvée s’accompagne d’une pauvreté écrasante.
Parmi ces exilés de l’intérieur, Thiombiano Yemboado et Sana Mariam racontent des histoires qui se ressemblent : des récits de fuite éperdue, de deuils impossibles et de reconstruction incertaine.
L’ultime départ de Mangou
Dans son village de Mangou, près de Diapaga, Thiombiano Yemboado vivait de l’agriculture et de l’élevage. Puis, un matin, trois de ses frères furent exécutés par des hommes armés. « J’ai pris la fuite avant que ça ne soit mon tour », dit-il d’une voix basse. Avec sa femme et ses enfants, il marche jusqu’à Fada, charrette chargée de céréales, menée par trois ânes.

Leur arrivée ne signe pas la fin des épreuves. Les réserves s’épuisent, les bêtes meurent, et sans terre à cultiver, Thiombiano survit en vendant du dolo, une bière de mil. Cette année, il a loué un petit champ, espérant récolter de quoi nourrir les siens. Mais l’insécurité reste un couperet : certaines zones rurales sont inaccessibles, les marchés hebdomadaires désertés par crainte des attaques.
Neuf jours à pied pour sauver ses enfants
À quelques rues de là, dans un quartier périphérique de Fada, Sana Mariam plie du linge encore humide, ses mains rougies par l’eau et le savon. Elle a fui Tanwalboubou avec son mari et ses enfants après l’incursion violente de groupes armés.

« Nous avons marché neuf jours. Nous n’avions presque rien à manger. Tout est resté là-bas : nos habits, nos ustensiles, nos champs », confie-t-elle. La famille loue aujourd’hui une maison pour 7 500 francs CFA par mois. Le loyer est payé difficilement, grâce aux quelques pièces qu’elle gagne en lavant le linge d’autrui. « Tout est payant ici : l’eau, le bois, la nourriture. Je veux seulement travailler, pour nourrir mes enfants dignement », répète-t-elle.
Une ville sous pression
Selon le CONASUR, la région de l’Est accueille plus de 400 000 déplacés internes, dont une grande partie à Fada N’Gourma. L’arrivée massive de familles a fait exploser la demande en eau, en terres agricoles et en services sociaux. Les écoles débordent, les centres de santé peinent à répondre, et les opportunités économiques sont rares.
Les aides humanitaires, déjà limitées, ne parviennent pas à tous. Les plus chanceux reçoivent un colis alimentaire mensuel ; d’autres, comme Thiombiano et Sana, vivent dans l’ombre des statistiques, oubliés des registres officiels.
Entre mémoire et espoir
Pour ces déplacés, l’avenir se résume souvent à un seul vœu : rentrer. « Nous voulons la paix, pour retrouver nos champs, nos bêtes, nos maisons », dit Thiombiano. Mais la paix, dans cette partie du Burkina Faso, reste un horizon lointain.
En attendant, ils inventent de nouvelles stratégies de survie, alternant petits boulots, entraide communautaire et prières. Leur dignité est leur dernier bien, leur espoir la seule richesse qu’aucune guerre n’a pu leur arracher.
Ne pas détourner le regard
Derrière chaque chiffre officiel se cache une vie, un visage, une histoire. Thiombiano et Sana ne sont pas des exceptions. Ils sont le miroir de centaines de milliers d’autres, contraints de vivre loin de leurs terres et de leurs repères.
Les oublier, c’est accepter que la guerre efface des existences entières. Les écouter, c’est commencer à bâtir des réponses – humanitaires, sociales, économiques – à la hauteur de la crise.
Parce qu’au-delà des armes, c’est la lutte pour la dignité qui se joue à Fada N’Gourma.
Van Marcel OUOBA,
Pélagie COMBARY, Stagiaire
Gulmu Info