Entre souveraineté et impunité : l’équation sahelienne après le retrait de la CPI
L’annonce du retrait conjoint du Burkina Faso, du Mali et du Niger du Statut de Rome et donc de la Cour pénale internationale (CPI) constitue un tournant majeur dans la trajectoire politique et diplomatique de l’Alliance des États du Sahel (AES). Présentée comme une « décision souveraine », elle suscite pourtant de nombreuses interrogations et inquiétudes.
Une dénonciation qui fait écho… mais qui interroge
Il est vrai que la CPI est régulièrement accusée de partialité. Depuis sa création en 2002, la majorité des dossiers ouverts concernent des responsables africains, ce qui nourrit l’idée d’une « justice des vainqueurs » ou d’un instrument néocolonial. En ce sens, la critique des dirigeants sahéliens n’est pas dénuée de fondement et rejoint les frustrations exprimées par plusieurs chefs d’État africains au cours de la dernière décennie.
Cependant, la décision de quitter cette juridiction survient dans un contexte particulier : les trois pays sont dirigés par des militaires, souvent accusées elles-mêmes de violations graves des droits humains dans leur lutte contre le terrorisme. Dès lors, difficile de ne pas voir dans ce retrait une stratégie d’autoprotection, destinée à soustraire les dirigeants et les forces de sécurité à toute enquête internationale.
Quelles garanties pour les victimes ?
L’argument central de la CPI repose sur la lutte contre l’impunité. Or, en se retirant, le Burkina, le Mali et le Niger envoient un signal préoccupant aux milliers de victimes de massacres, d’exactions ou de violences sexuelles dans le Sahel. Quelle juridiction nationale ou régionale pourra garantir une justice impartiale et indépendante dans des États fragilisés, où les institutions judiciaires peinent déjà à fonctionner ?
Certes, l’AES promet la création d’une Cour pénale et des droits de l’homme régionale. Mais sa mise en place effective, son indépendance et ses moyens financiers restent hypothétiques. En attendant, les victimes risquent de voir leurs espoirs de justice encore repoussés.
Une décision qui isole davantage
Sur le plan diplomatique, ce retrait accroît l’isolement des trois pays sahéliens. Déjà coupés d’une partie de leurs partenaires traditionnels, notamment occidentaux et de la CEDEAO, ils s’éloignent aussi des mécanismes internationaux de protection des droits humains. À long terme, cette posture pourrait fragiliser leur crédibilité et compliquer la coopération judiciaire, notamment en matière de lutte contre le terrorisme transnational.
Entre souveraineté et responsabilité
En définitive, le départ de la CPI illustre la volonté des dirigeants sahéliens d’affirmer leur souveraineté face aux institutions internationales. Mais une souveraineté ne se mesure pas seulement à la capacité de dire « non » : elle s’évalue aussi à l’aune de la capacité à rendre des comptes et à garantir justice et équité à ses propres citoyens.
Le pari de l’AES est donc risqué : créer une justice régionale forte et crédible, qui ne soit pas un instrument politique, mais un outil réel de lutte contre l’impunité. À défaut, cette décision pourrait être perçue comme un pas en arrière pour les droits humains et une victoire pour l’impunité dans une région qui, plus que jamais, a besoin de justice.
Van Marcel OUOBA, Gulmu Info

