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Dans le secret du feu : Paroles de forgerons du Gourma

Dans le secteur 8 de la capitale gourmantchée, la forge ne se résume pas à un métier. C’est une langue du feu, une mémoire du fer, une science mystique transmise de génération en génération. Rencontre avec deux figures mémorables de cet univers sacré : Traoré Moussa et Thiara Djinguili, deux visages d’un même feu ancestral

Deux lignées, une même mission sacrée

Dans la tradition gourmantchée, la forge se décline en deux branches complémentaires :

  • O Duaro : les réducteurs de minerai, gardiens du feu originel.
  • Ku Maaboangou : les forgerons du fer noir, sculpteurs du quotidien.

Chacune joue un rôle fondamental, entre savoir-faire technique, savoir-être spirituel et service à la communauté

Traoré Moussa, O Duaro et héritier du feu sacral

« Je suis O Duaro. Le feu est notre guide, notre parole, notre destin. »

Traoré Moussa est né dans la forge. Initié dès l’enfance par son père, il perpétue l’art de la réduction du minerai. Les pierres ferrugineuses, ramassées dans la brousse, sont transformées par un procédé complexe et symbolique : mélange de terre de termitière, déchets d’âne, rayons de miel, le tout moulé, séché puis cuit pour accueillir la matière en fusion.

Traoré Moussa, O Duaro et héritier du feu sacral
Traoré Moussa, O Duaro et héritier du feu sacral

Avec des soufflets en peau animale, il attise les braises jusqu’à l’émergence du fer. Chaque outil a son nom, son rituel. Le ubaanu saisit le métal. Les marteaux chantent au rythme du travail.

« Avant de forger, je sacrifie un coq rouge. Le nimbado, récipient rituel, recueille cette offrande pour ouvrir l’espace aux ancêtres. »

Mais le savoir de Moussa va plus loin. Il est aussi Numbado Maaba, créateur de bracelets royaux.

Obenboulo, Obiaboupieno, Li cicibiali, O Daagou : autant de bijoux mystiques pour protéger les rois, écarter la pauvreté ou assurer la prospérité.

« Le roi ne meurt jamais seul. Pendant sept jours, notre cour devient inviolable. C’est ainsi que l’on reconnaît les véritables porteurs du pouvoir. »

Moussa est aussi un homme de principes : loyauté, abstinence des femmes d’autrui, respect des esprits.

Aujourd’hui, il fabrique gratuitement des talismans pour les FDS et VDP, dans un geste patriotique.

Et il forme déjà son fils, Ibrahim Traoré, pour que la flamme ne meure jamais.

Thiara Djinguili, l’artisan des gestes du quotidien

« Je suis Ku Maaboangou. Je travaille le fer noir. Mon feu est plus bas, mais tout aussi sacré. »

Issu d’une lignée de forgerons, Djinguili perpétue l’artisanat utile : houes, machettes, flèches, couteaux. Contrairement aux O Duaro, il achète le fer, souvent importé, et le transforme pour la vie de tous les jours.

« La forge n’est pas un garage. On y entre avec le cœur pur. Même si le feu t’atteint, tu ne cries pas. C’est un lieu de maîtrise. »

Sévère mais souriant, Djinguili insiste sur le secret : le savoir se mérite, se respecte.

Thiara Djinguili, l’artisan des gestes du quotidien
Thiara Djinguili, l’artisan des gestes du quotidien

Son fils l’accompagne déjà. La transmission est en marche.

Une culture menacée par le silence et l’oubli

Aujourd’hui, la forge traditionnelle est en péril. Le minerai local disparaît. Les outils industriels concurrencent l’artisanat. Les savoirs ne sont plus transmis.

« Un bon fer, c’est 5000 FCFA. Et pourtant, les gens préfèrent les bagues sans pouvoir. La tradition se perd, la science se dilue. »

Moussa, lui, a construit des maisons, acquis un centre, reçu des visiteurs du monde entier. Sa forge fait vivre. Mais il craint que l’étincelle ne s’éteigne.

Pour une transmission vivante et reconnue

Traoré Moussa appelle à la création d’un centre de formation :

« La forge, c’est une science. Il faut l’intégrer dans les écoles. Même ceux qui ne sont pas de familles de forgerons doivent apprendre. »

Il appelle aussi à un appui logistique : enclumes, soufflets, moules, outils.

« Quand un forgeron salue un roi, il dit Djualí : car rien n’est plus haut que la colline. »

Une nation à l’écoute de son feu ancestral

La forge, c’est plus que du métal : c’est une mémoire vivante, un savoir-thérapie, un patrimoine à protéger. Traoré Moussa le répète :

« Certains enfants que la médecine ne soigne pas, nous les aidons avec des colliers ou objets forgés. C’est une médecine de l’esprit. »

Dans les braises du présent, les forgerons du Gourma entretiennent encore le feu des origines. Mais sans reconnaissance, sans appui, la flamme vacille.

Il est temps d’écouter les voix du métal et du feu, et de leur redonner la place qu’elles méritent dans le Burkina de demain.

Tankoano Youmanli, Stagiaire, Gulmu Info

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