Dans l’attente d’un avenir : les déplacés de Fada misent tout sur les concours
Ils révisent dans des salles de classes de la ville, parfois sans bancs, souvent sans silence. Ils viennent de la Tapoa, de la Sirba, de Yamba, exilés non par choix, mais par nécessité. À Fada N’Gourma, capitale du Gulmu, et point de repli pour des milliers de déplacés internes, des jeunes étudiants préparent dans l’ombre les concours de la fonction publique. Entre fatigue, instabilité et précarité, leur acharnement est une réponse douce mais implacable à la brutalité du monde.
Réviser pour exister
À quelques semaines des concours nationaux, ce qui chez d’autres serait une simple course au diplôme devient, ici, un acte de résistance. « Nous avons repris les cours depuis la 3e jusqu’à la licence », explique Lompo Hambiyabidi, jeune déplacé originaire de la Tapoa. Sa voix est posée, lucide. Les mots sont précis, comme pour affirmer que rien ne sera laissé au hasard. De 19h à 23h, puis de 7h à 13h, il révise en groupe, dans des écoles improvisées en centres d’étude.
Les conditions ? Spartiates. Des classes poussiéreuses, des tableaux effacés par le temps, du bruit. Mais ces jeunes n’en font pas un prétexte. « Il est difficile de se concentrer, mais on s’adapte », glisse-t-il, avec cette résilience qui semble devenue seconde nature.
L’exil n’efface pas les ambitions
Ces étudiants déplacés ne se contentent pas de survivre. Ils veulent réussir. Noula Bendi, lui, vient de Logobou. Chaque jour, il traite deux sujets, relit ses fiches, échange avec ses camarades sur WhatsApp. Le réseau téléphonique, instable, n’est pas un frein. « On se motive entre nous, malgré tout. » Malgré la faim parfois. Malgré l’éloignement, les familles restées dans les zones rouges, les villages devenus inaccessibles. Malgré ce besoin de soutien moral, si vital quand on s’apprête à affronter un concours aux taux d’admission dérisoires.
Une jeunesse sur la corde raide
Ces jeunes vivent à la frontière de deux mondes : celui des déplacés, où tout manque, et celui des élèves-candidats, où tout se joue. Le stress, ici, a une double origine. « Je pense à mes parents. Sont-ils en sécurité ? Ont-ils mangé ? », confie Hambiyabidi, les yeux embués. La concentration s’émousse quand le cœur est ailleurs.
Et pourtant, ils tiennent. Ils s’organisent. Ils planifient. Ils s’éduquent. Ils refusent d’être une génération sacrifiée.
Un besoin d’écoute, de soutien, de présence
Leurs récits sont des appels. Pas à la charité, mais à la justice. Des espaces d’étude sûrs, un accompagnement psychologique, des livres, des cours en ligne, des repas. Pas grand-chose, mais assez pour dire : « Vous comptez. »
Car c’est là le fond du message. Ces jeunes déplacés sont le miroir d’un pays en mouvement, contraint, mais toujours debout. Leur désir d’apprendre, malgré les balles, malgré les camps, malgré les silences, est une leçon de courage national.
Tenir, pour demain
« Je demande à tous les élèves et étudiants déplacés de rester fermes », dit encore Hambiyabidi. Ce n’est pas une incantation. C’est une stratégie. Une posture. Une manière d’exister dans un pays où, parfois, l’on devient invisible.
À Fada N’Gourma, ces jeunes préparent bien plus que des concours. Ils préparent la suite du récit national. Là où le chaos a pris place, ils posent les jalons d’un futur reconstruit à l’encre du courage et de l’instruction.
Soutenir l’éducation des déplacés n’est pas un luxe. C’est une urgence démocratique. Une garantie de paix. Une réponse au bruit des armes. Parce qu’un pays qui n’écoute pas ses élèves, surtout ceux qui ont tout perdu, s’éloigne de lui-même.
Youmanli TANKOANO, stagiaire, Gulmu Info