Calebasse et canari : gardiens silencieux de l’identité gourmantché
Dans un monde où l’aluminium, le plastique et l’acier ont envahi les foyers, reléguant les matières naturelles au rang d’objets folkloriques, deux silhouettes modestes continuent de défier l’oubli : la calebasse et le canari. Pour Madame TINDANO, vieille gardienne de la mémoire gourmantché, ces ustensiles ne sont pas de simples contenants. Ils sont la voix muette des ancêtres, les témoins de rites, de repas, de chants et de larmes. Ils sont l’âme d’un peuple qui s’interroge sur son avenir culturel.
Des objets nés de la terre et du végétal
Leur origine est à la fois simple et profondément symbolique : la calebasse, fruit séché et évidé, façonné par le soleil et la patience, et le canari, sculpté dans l’argile, cuit dans le feu comme un cœur battant.
« Le canari servait à puiser, à conserver l’eau. La calebasse, elle, servait à boire », confie Madame TINDANO, sa voix empreinte de nostalgie.
Dans les villages de l’Est, longtemps, l’eau fraîche conservée dans le canari désaltérait les familles, tandis que la calebasse circulait de main en main, symbole d’hospitalité et de fraternité. Offrir une calebasse d’eau à l’étranger n’était pas seulement un geste pratique : c’était un rituel d’accueil, une déclaration silencieuse – tu es des nôtres.
Le langage des objets dans la vie sociale
La calebasse et le canari ne servaient pas seulement à vivre. Ils servaient aussi à dire, à transmettre, à marquer. Chez les Gourmantché, le canari représentait l’identité de la femme. Dans les demandes en mariage, il était indissociable d’une calebasse et de 200 francs, symbole d’union et de respect.
Lorsqu’une jeune mariée rejoignait le foyer conjugal, elle apportait avec elle deux canaris et deux calebasses. Ces objets devenaient alors l’écrin de sa nouvelle vie, outils de cuisine, de soin, de transmission. La calebasse, dans ses mains, nourrissait les enfants de tisanes et de bouillies. Elle devenait à la fois instrument de maternité et de continuité.
Présents dans la joie comme dans le deuil
La calebasse accompagnait les grandes étapes de l’existence. Elle vibrait au son des chants, devenait instrument de musique, support aux danses et aux rires. Elle se faisait aussi sobre lors des cérémonies funéraires, rappelant la fragilité de la vie.
Le canari, lui, avait une portée spirituelle. Utilisé dans les sacrifices, lors des enterrements, il liait le visible à l’invisible, l’eau à la terre. Mais il n’était pas seulement un médiateur du sacré : il était aussi le récipient du dolo, la bière traditionnelle, boisson du partage par excellence. Boire ensemble dans une calebasse, c’était affirmer l’unité et célébrer la fraternité communautaire.
Le déclin d’un héritage
Aujourd’hui, ces objets paraissent fragiles face aux assauts de la modernité. Dans de nombreux foyers, le plastique et le métal se sont imposés. « Rares sont les familles qui les utilisent encore. Certains vont même jusqu’à dire que c’est diabolique », soupire Madame TINDANO, attristée.
Ce rejet n’est pas seulement la conséquence d’un progrès technique. Il est le signe d’un basculement plus profond : l’effritement d’une culture matérielle qui, au fil des générations, faisait lien entre les vivants, les morts et les ancêtres.
Transmettre pour survivre
Pour Madame TINDANO, la réponse est claire : il faut transmettre. « Les parents doivent enseigner à leurs enfants, dès le bas âge, notre culture gourmantché et l’importance de ces objets. Sinon, leur valeur disparaîtra avec le temps. »
Car au fond, calebasse et canari ne sont pas seulement des récipients. Ils sont des conteneurs de mémoire. Offrir de l’eau dans une calebasse, c’était offrir la paix. Partager le dolo dans une calebasse, c’était célébrer la vie commune.
Quand l’objet devient symbole
Aujourd’hui, dans un monde mondialisé où les traditions s’effacent sous le poids de l’uniformité, la calebasse et le canari posent une question fondamentale : qu’advient-il d’un peuple lorsque ses objets fondateurs disparaissent ?
Leur survie n’est pas seulement un enjeu de conservation patrimoniale. Elle est une affirmation identitaire. Tant qu’une calebasse passera de main en main, tant qu’un canari gardera au frais l’eau d’un foyer, l’âme gourmantché continuera de battre.
Honorine MANO, Stagiaire, Gulmu Info