À Fada N’Gourma, les déplacés cultivent l’espoir : quand la terre devient refuge et résistance
Dans une région de l’Est burkinabè secouée par des années de violences, un champ peut valoir plus que mille discours. À Fada N’Gourma, ville-refuge devenue le carrefour d’un exode silencieux, la solidarité se vit les mains dans la terre. À l’ombre de modestes potagers, des femmes déplacées réinventent leur quotidien – et rappellent que, même déraciné, un peuple peut refleurir.
La terre, ce qu’il reste quand tout a disparu
Quand Podama OUOBA évoque sa fuite du village de Yamba, dans la province de la Gnagna, sa voix se brise à peine. Le récit est devenu familier, presque banal dans cette région rongée par l’insécurité. Une nuit, des coups de feu. Le départ précipité. L’abandon des terres, des bœufs, des cases. L’exil vers Fada, avec trois enfants et deux sacs de fortune. Et puis, l’attente. L’abri dans un camp informel. L’espoir d’un retour sans date.
Mais à Fada, elle a trouvé autre chose : un petit terrain, offert par une femme du quartier. Une portion de terre derrière une maison, qu’elle transforme depuis deux mois en un champ vivrier. Du mil, du maïs, du gombo. Ce n’est pas grand, mais « c’est assez pour ne plus avoir honte de tendre la main », souffle-t-elle.
Un geste simple, un symbole fort
La bienfaitrice, une mère de famille discrète du secteur 4, refuse d’être citée. « Ce n’est rien, dit-elle, j’ai juste prêté ce que j’avais. Elle cultive, elle nourrit ses enfants, et moi je dors mieux. » Un geste de fraternité presque instinctif, dans une région où les traditions d’accueil ont souvent précédé les politiques publiques.
Comme elle, d’autres habitants prêtent des parcelles aux familles déplacées. Parfois un champ abandonné, parfois un carré de terre en bordure de cour. Ces arrangements ne font l’objet d’aucun contrat. Ils se nouent dans la confiance, dans le silence de la débrouille.
Un quotidien réinventé à coups de houe et de courage
Le matin, bien avant que le soleil n’écrase la ville, Podama se lève pour sarcler. Elle retourne la terre, elle parle à ses plants. Dans chaque geste, il y a un peu de mémoire retrouvée, un peu de dignité reconstruite. « Ici, je redeviens femme. Je redeviens mère. Je redeviens utile. »
Avec d’autres femmes, elle échange des semences, des techniques, des encouragements. Certaines vendent quelques bottes de feuilles au marché. D’autres réservent leur maigre récolte à la cuisine familiale. Toutes disent la même chose : cultiver, c’est résister.
Une agriculture de survie… mais aussi de sens
Dans cette région où l’accès à l’aide humanitaire est irrégulier, l’agriculture urbaine devient vitale. Elle allège la dépendance. Elle soigne les corps, mais aussi les esprits. « Ces femmes retrouvent un ancrage, un rôle social. C’est plus qu’un champ : c’est un espace de résilience », analyse une travailleuse sociale locale.
Plusieurs ONG commencent à s’y intéresser. Elles soutiennent la fourniture d’outils, de semences, de grillages. Mais pour beaucoup, l’initiative reste locale, portée par des solidarités anciennes et puissantes. Ici, la terre est mémoire, la terre est lien, la terre est soin.
Un défi humain face à une crise silencieuse
On estime à plus de 100 000 le nombre de déplacés internes à Fada N’Gourma et dans ses environs. Si les abris sont parfois disponibles, la nourriture, elle, manque. L’initiative des champs partagés, des champs prêtés, devient une réponse à la fois pratique et symbolique. Une manière de dire : « Tu n’es pas seul. »
Pour les autorités locales, ce modèle pourrait inspirer une politique plus structurée d’intégration agropastorale des déplacés. Mais en attendant, ce sont des femmes comme Podama, des anonymes du quartier, qui changent la donne.
Van Marcel OUOBA, Gulmu Info