Fada N’Gourma : dans les coulisses du procès du « nourrisson volé »
Le calme relatif du Tribunal de grande instance s’est brisé, mercredi 12 novembre 2025, lorsque la présidente de la chambre correctionnelle a ouvert le dossier n°245/2025, rapidement surnommé par le public : « l’affaire du nourrisson volé ». Une affaire douloureuse, presque irréelle, où se sont mêlés désir d’enfant, tromperies organisées et silences complices, au cœur d’une même famille.
Une nuit d’octobre qui a tout fait basculer
Selon le dossier instruit, les faits remontent à la nuit du 26 au 27 octobre 2025. Ce soir-là, Aïssata S, nom d’emprunt, 32 ans, s’introduit discrètement dans la maison de sa grande sœur, Yvonne S., chez qui séjournait leur cadette, Mariam S., jeune mère d’un nourrisson de deux mois.
Profitant du sommeil profond de cette dernière, Aïssata se saisit de l’enfant, avant de disparaître.
À la barre, l’accusée ne cherchera pas à dissimuler son geste :
« Je ne pouvais pas concevoir. Mon compagnon voulait un enfant… alors j’ai simulé une grossesse. Je comptais lui présenter ce bébé comme le mien. »
Une confession dite d’une voix calme, presque résignée, qui laisse la salle médusée.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là.
Pour entretenir l’illusion d’une vie « stable » aux yeux de son compagnon, la prévenue reconnaît également s’être faite passer pour militaire, usurpant un statut destiné à asseoir la crédibilité de sa pseudo-grossesse.
Zones d’ombre autour du père du nourrisson
Sur le banc des prévenus se trouvaient également :
- Idrissa T. nom d’emprunt, père biologique de l’enfant,
- et Yvonne S. nom d’emprunt, la sœur aînée, accusée de complicité.
Cette dernière sera finalement relaxée pour infraction non constituée, le ministère public estimant qu’aucun élément ne la liait au rapt.
En revanche, Idrissa T., lui, cristallise les interrogations.
S’il nie toute complicité, Aïssata l’accuse fermement d’avoir été informé du rapt dès les premières heures :
« Je lui ai dit le jour même que l’enfant était chez moi. »
Le procureur s’interroge :
Pourquoi Idrissa n’a-t-il entrepris aucune démarche pour signaler la disparition de son propre enfant ?
Et pourquoi ces rencontres régulières avec sa belle-sœur dans des débits de boissons, « à des heures indues » ?
« Vous entretenez une liaison avec votre belle-sœur ? », lance sèchement le procureur.
— « Non. C’est la copine d’un ami. »
— Et cet ami ?
— « On l’appelle seulement “Léger Léger”, je ne connais pas son vrai nom. »
Un échange qui fait naître un murmure dans la salle, chargé de sous-entendus.
La mère, au milieu du tumulte
Assise parmi les parties civiles, Mariam S., l’enfant serré contre elle, tente de défendre son mari :
« Il ignorait que mon bébé était chez ma sœur. »
Une affirmation dont le procureur doute ouvertement, évoquant une attitude « étrangement détachée » du père et son absence totale de réaction après la disparition du nourrisson.
Le verdict : entre compassion et fermeté
Après les réquisitions, 5 ans ferme requis contre Aïssata, 12 mois contre Idrissa, le tribunal tranche finalement plus légèrement :
- Aïssata S., reconnue coupable d’enlèvement de mineur et d’usurpation de titre :
12 mois de prison dont 6 ferme + 500 000 F CFA d’amende. - Idrissa T., coupable de complicité d’enlèvement :
12 mois dont 2 ferme + 500 000 F CFA d’amende. - Yvonne S. : relaxée.
Un verdict accueilli dans un silence pesant, comme si l’émotion avait scellé les lèvres de l’assistance.
Une affaire de détresse intime
Au-delà du droit et de la sanction, cette affaire met en lumière un drame intime :
celui d’une femme minée par la stérilité, prête à bâtir une fiction dangereuse ;
celui d’un père au comportement ambigu ;
celui, enfin, d’un nourrisson dont la vie a été ballottée au rythme de mensonges d’adultes.
Van Marcel OUOBA, Gulmu Info
