KU CENCENGU, L’ÂME TISSÉE DU GULMU
Il est de ces étoffes qui ne se contentent pas de vêtir. Le Cencengu, pagne tissé à la main dans la région de l’Est du Burkina Faso, ne couvre pas : il révèle. Il ne dissimule pas : il raconte. Il ne suit pas la mode : il porte en lui l’âme d’un peuple. Le Gulmu n’a peut-être pas de gratte-ciel, ni d’autoroutes, mais il a le Cencengu — et cela vaut tous les patrimoines.
Car ici, à Fada N’Gourma, à Botou, à Bilanga, à Diapangou, à Kantchari ou à Pama, ce pagne n’est pas un simple tissu. Il est un drapeau officieux, un langage sans mots, un héritage transmis de mères en filles, de maîtres tisserands en apprentis passionnés. Chaque fibre y est mémoire. Chaque couleur, un écho du passé. Chaque motif, une géographie intérieure. Et chaque geste du tisserand, un acte de foi dans la beauté de l’identité gulmancè.
Un pagne royal, un tissu sacré
Autrefois réservé aux rois et aux dignitaires, le KU Cencenmoangou, ce pagne rouge et noir, incarne toute la majesté du Gulmu. Tissé dans le respect de rites anciens, porté lors des initiations, des fiançailles, des retours de chasse ou des grandes cérémonies, il est plus qu’un vêtement : il est la mémoire de la royauté, la noblesse populaire, le sceau silencieux de la maturité.
Rouge comme la bravoure et la vie. Noir comme la profondeur de la sagesse et des épreuves. Ensemble, ces couleurs dansent dans les mains des tisserands comme une prière pour la continuité et l’unité.
À ses côtés, le KU Cencenboangou vient marquer les moments de tendresse : il est offert à la mère de la mariée, en reconnaissance d’avoir donné la vie, éduqué avec patience, transmis les valeurs. C’est un hommage textile, un poème de fils tendus entre gratitude et émotion.
Quant au Kpalikpano, il est réservé aux enfants dits « à part » : jumeaux, gauchers, enfants aux parcours spirituels singuliers. Il protège, il rassure, il lie l’enfant au monde visible et invisible. Sa confection elle-même obéit à des règles strictes, tissée parfois dans le silence, souvent dans la ferveur.
Tisser, c’est résister
Aujourd’hui, dans une région malmenée par la crise sécuritaire, par les déplacements, par la peur, le Cencengu renaît. Il devient flambeau de dignité. Il donne du travail aux jeunes, du courage aux déplacés, du sens à une région qui cherche à se relever sans perdre son âme.
Dans les centres de formation comme Belle Épine ou Divine Grâce, dirigés respectivement par Boukari Koadima et Yonli Pagaadi, le Cencengu est enseigné comme un art majeur. Et ils ont raison : on ne parle pas ici de simple artisanat, mais d’une civilisation tissée.
À chaque pagne vendu, c’est un pan de l’identité gulmancè qui voyage, qui s’exporte, qui rayonne. À chaque pagne porté, c’est une déclaration silencieuse : « Je suis du Gulmu, j’ai une histoire, j’ai une dignité. »
L’élégance d’une mémoire
Dans un monde uniformisé, le Cencengu est une exception fière. Il n’imite pas. Il impose. Il rappelle que la beauté ne se trouve pas que dans les vitrines, mais aussi dans les traditions enracinées, dans le souffle des ancêtres, dans les mains calleuses des tisserands. Il dit : « Je suis le lien entre le passé et l’avenir. »
Et si demain, le Burkina Faso cherchait une étoffe nationale capable de représenter toutes ses mémoires, toutes ses résistances, toutes ses espérances… qu’il se tourne vers l’Est. Là où le Cencengu continue, fil après fil, couleur après couleur, à tisser une fierté qui ne se délave pas.
Tankoano Youmanli, stagiaire, Gulmu Info